La reconstruction syncopée du récit autobiographique

Certains romans autobiographiques du XXe siècle présentent une discontinuité narrative qui entame la linéarité du récit ainsi que l'équilibre structurel de l’œuvre. Souvent, ce phénomène est motivé par le travail de reconstitution du souvenir, caractérisé par des lacunes de la mémoire, ainsi que par le rapport conflictuel à l’Histoire du sujet narrateur, suspendu entre le rôle de testes (témoin observateur) et celui de superstes (témoin rescapé) des événements historiques, selon les termes de Giorgio Agamben. L'article propose d'aborder ces thématiques dans les autobiographies de Georges Perec et de Primo Levi, publiées en 1975, qui constituent des parenthèses dans une production littéraire riche et variée. Il s’agit de deux ouvrages exemplaires inaugurant une nouvelle forme d'autobiographie, caractérisée par la fragmentation et la discontinuité narrative (Lejeune), que l’on retrouve chez d’autres auteurs (Sarraute, Bernhard, Yourcenar). Si le lecteur de W ou le souvenir d’enfance est confronté au « va-et-vient fatiguant » et régulier entre le récit allégorique et le récit autobiographique, et doit s'engager pour ne pas perdre le fil de l’histoire, le lecteur du Système périodique est constamment distrait du sujet autobiographique et historique par le biais des « histoires de chimie militante » et par diverses insertions qui brisent l'unité romanesque au profit de sections hétérogènes. La conformation brisée et syncopée du récit dissimule la problématique complexe de l’individu face à l'Histoire, responsable du paradoxe essentiel : le narrateur, qui lutte pour réaffirmer son identité mise en question par les circonstances historiques, se trouve à affronter l’absence de souvenirs et doit s’appuyer sur des documents et des photos afin de reconstruire sa propre histoire (Perec) ou semble refouler les souvenirs événementiels de sa propre vie au moment même où il en fait le récit (Levi).

ISBN:9782304039245

Publication year:2012

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